UNE PRODUCTION DE LA COMPAGNIE LES VOISINS DU DESSOUS
INSTANTANÉS ÉCRITS ET MIS EN SCÈNE PAR PASCALE HENRY
pour 6 interprètes : Marie Bonnet, Chloé Schmutz, Philippe Saint-Pierre, Stéphane Czopeck, Galla Naccache-Gauthier, Sylvie Jobert
Et un musicien : Laurent Buisson
Accompagnés par Audrey Vermont, plasticienne et costumière et Céline Fontaine, régisseuse générale
« Pour survivre sur une fine couche de glace, il faut patiner vite. »
Ralph Waldo Emerson
Une création sur le vif
La vie artistique est en proie, au-delà des succès qu’ elle rencontre, à nombre d’obstacles à l’ aune desquels la résistance du désir est un bâton de marche. Le simple cours d’une vie n’ est pas sans puiser tous les jours à cette force d’élan. Cette résistance si mystérieuse qu’ elle soit, est la condition.
Mais quelle est la condition du désir aujourd’hui ?
Et celle de la parole qui pour partie lui tient lieu d’expression ?
Il suffit de se pencher pour ramasser les stigmates d’une vie contemporaine où le désir comme la parole semblent sérieusement amochés, quand bien même ceux qui tiennent tête. Burn out, manifestations populaires sans écho, harcèlements en tous genres, parole politique désarmée par l’incrédulité, violences sociales, compétition armée jusqu’ aux dents, vitesse plutôt que durée, envahissement jusqu’ à l’absurde du contrôle chiffré, services publics asséchés, l’humanité bientôt sans abri, impuissance réelle 5 ressentie 10 et cette petite bête qui monte qui monte …noire et sans affect.
Qu’ est ce qui s’ est passé et par où ça passe ?
« Tu parles ! » est un rendez-vous insolite avec cette impression entêtante d’une perte dont les racines puissantes, en boa constrictor, étouffent lentement ce qui échappe, ce qui résiste, ce qui réclame du temps, ce qui puise à l’autre, ce qui ne s’ énonce qu’à tâtons, ce qui incite au doute.
« Tu parles ! » est un rendez-vous avec la toute petite histoire, celle qui s’ entend à demi-mots, d’où pourtant émerge dans la langue, la nature des atteintes et des espérances.
« Tu parles ! » est un rendez-vous, en instantanés, attrapés au comptoir de la vie, bruyante ou silencieuse.
Et ce titre, comme un rappel urgent à ce possible remarquable d’“avoir la parole “ comme à l’inquiétante impression d’une fin de non-recevoir qui l’étouffe.
L’ exercice de la vie n’ est pas sans nous demander d’apparaitre, de trouver un sens à l’effort de vivre, avant la fatale échéance. C’est peut-être même le plus attachant et le plus fragile de nos traits. Il suffit d’écouter ce qui s’ énonce dans le moindre récit, qu’il soit amical ou de rencontre fortuite. Il y a dans nos existences, pétri au fond, l’espérance de compter pour quelqu’ un, ou quelque cause, ou quelque chose fabriqué avec quelques autres. Sans quoi ce vide menace d’engloutir dans la brutalité retournée.
Ce serait un comble d’avoir perdu la parole pour pouvoir y croire.
Ce moment de rencontre imaginée par la compagnie se propose de revenir à nos petites histoires et à ce qu’ elles contiennent de questions posées à l’existence en quelques minutes, à peine la parole prise.
De les installer dans les conditions de les attraper au vol et dans la proximité des corps rassemblés.
De leur laisser le temps compté, qui est le leur, de surgir.
Le bar du théâtre plutôt que le plateau
Une partie des premiers textes qui composeront ce moment de théâtre ont été écrits pendant une résidence d’ écriture effectuée dans un bar du 12ème arrondissement de Paris à l’occasion de mon engagement avec le festival Tournée Générale dirigé par Anaïs Héluin.
Quelles histoires sont au silence, quels petits et grands abimes agitent ces corps venus boire un verre ou siroter lentement un café, quelles colères, quelles peines invisibles, trainent le long du comptoir ?
J’ai imaginé, puisant à ces heures passées à une table dans un coin du bar, des récits d’un instant, surgis des corps, des visages, des silences avec cette question en tête qui trottait, ruminait à l’étroit “ Qu ’est- ce qu’il y a ? “
S’il est un lieu où la parole divague, se cache, se confie, où elle fabrique parfois pour un public, où elle est seulement de passage, où elle n’ est que silence aussi, c’ est au café.
Au café, où chacun sait qu’il y aura les autres, connus ou pas. Où on est sûr en tous cas, qu’il y aura quelqu’un.
Cette création s’ est choisi sa place. Ailleurs. Au milieu des corps. Se propose de se glisser dans le bar du théâtre. Plutôt que de s’ inventer sur un plateau. De se jouer dans le décor naturel qui lui sera offert.
Une création qu’ on imagine comme une rêverie éclatée au milieu du public où la parole se prend et se perd à l’emporte-pièce, où les corps demandent aussi à exulter et sont emportés brutalement par la musique et la danse comme pour se laver de la torpeur.
On passera d’un récit à l’autre, jouant de l’accumulation, on ne se privera ni de rire, ni de s’ émouvoir de ce qui émerge de ces fragments jetés au hasard d’une rencontre, d’une amitié, d’un amour mal barré ou s’ évadant d’un instant de solitude au milieu des autres.
On travaillera aux secrets glissés sans en avoir l’air, aux questions jetées sans le savoir au vaste ciel de nos existences, on y retrouvera nos penchants humains, trop humains.
Un musicien accompagnera cette danse des mots et des corps, se jouant des ruptures, des excès, des silences, rythmant la vie jetée contre le comptoir ou abandonnée dans un coin.
Pascale Henry
Photo Mae Mu
Photo Olga Drach
Elle et lui
Lui : Ca va ?
Elle : Non
Lui : Ah qu’ est-ce qu’il y a ?
Elle : C’est bizarre c’ est si bizarre si si
Si bizarre
Comme si
Un encombrement tout le temps
A l’intérieur tout le temps
J’essaye de ranger trier
Je ne sais pas où mettre les choses
Si elles ont leur place quelque part
Où déposer tout ça je sais plus
Plus faire ou plus dire
Dire à qui ? Faire avec qui ?
Je me dis quelque fois je vais exploser ou étouffer ou m’ évanouir
M’ évanouir sans m’en rendre compte
A force de garder tout ça
C’ est beaucoup trop tout ça
Beaucoup trop et ça continue quand même
Ca s’ empile à ras le bord
Est-ce qu’il y a un bord ?
Il y a un bord ?
Est-ce ça peut continuer à s’empiler comme ça sans bord ?
Sans plus savoir où mettre les choses ?
Où mettre les choses pour qu’ elles ne restent pas en tas au fond comme ça
Inerte informe
Rien qu’ on puisse reconnaitre
Juste bon pour l’oubli
C’est si bizarre si
Comme si mes mains ne savaient plus que déplacer, pousser, transvaser
Comme si elles avaient oublié rassembler, modeler
Comme si ma langue craignait de s’ élancer
Comme si mes oreilles tout le temps percées de cris et de sirènes d’alarme
Comme si mon cœur n’ était plus là pour battre mais pour se taire un jour
Au fond il y a toutes ces choses devenues des choses qu’ on foule au pied
Parce qu’ elles n’ont plus de place ni de forme
Reste la surface
Mais à la surface c’est la patinoire des figures imposées
Comment faire avec les grimaces de ce qui se passe à la surface ?
Et au fond, à l’intérieur il n’ y a plus que cet encombrement
Plus qu’ un tas dont on voudrait bien se débarrasser
C’est si bizarre si si bizarre
Et on ne peut pas
S’en débarrasser
Je suis devenue bizarre
Sous la douche l’eau qui coule me fait flipper
Je coupe j’essuie
Je lave
Je fixe le bidon de lessive je le vois criminel à la dérive rejoindre le nouveau continent
De plastique
Finir en carte bleue, une par semaine il parait à avaler dans l’eau du robinet
Je coupe
Je marche forcée sans m’ arrêter aux corps déchets
Et ainsi de suite
C’est si bizarre si si
Que je sois devenue si bizarre
Un disjoncteur dans la tête
C’est pas bizarre ?
Lui : Quand on te dit ça va
Ne dis pas non
Ne dis pas non dis oui
Oui ça va ça va merci
Et souris
Musique