La pièce a été sélectionnée dans le cadre du Festival de La Mousson d’été 2024
ÉQUIPE DE CRÉATION
Jeu : (la fille) et (le père) en cours de distribution
Mise en scène : Pascale Henry
Conseil scénographique : Michel Rose
Costumes : Audrey Vermont
Musique et espace sonore : Laurent Buisson
Lumière : en cours
Régie générale : Céline Fontaine
Administration de production : Jean-Luc Girardini
Production/diffusion : 19.10 prod, Emmanuelle Guérin
Dans la dramaturgie au scalpel de cette conversation à distance construite en vingt-huit appels, on retrouve la puissance et la singularité de la langue de Magne van den Berg, ce jeu de courtes répliques dont elle a le secret, où s’ écoule en dessous le drame qu’ elle ausculte et qu’ elle offre à notre imaginaire sensible.
Rencontrée à l’occasion de la création en 2021 de « Privés de feuilles les arbres ne bruissent pas » ces retrouvailles avec son écriture sont une enthousiasmante perspective.
La pièce accueillie et mise en lecture au festival de la Mousson d’été en août dernier a conquis et bouleversé le public.
La situation se présente toujours sous une apparente simplicité chez Magne van den Berg, ici la perte d’un être cher, mais elle déploie lentement son épaisseur comme son indicible, dans le peu qui se dit et dans une construction dramaturgique où chaque mouvement intérieur trouve sa traduction dans l’étroitesse des mots et nous emporte vers les profondeurs, rendant les spectateurs « voyants » de ce qui ne se dit pas mais s’ éprouve.
Magne van den Berg écrit au corps, à partir du corps sensible, elle sculpte ce qui étouffe, les blessures comme les frustrations en retirant des mots ce qui serait à même de « dire » et alors, ce qui voudrait se dire émerge de cette compression qu’ elle exerce à la surface.
C’est une langue qui offre aux acteurs d’immenses et de savoureuses partitions. L’ interprétation se doit, presque comme en musique, de trouver ce que les notes révèlent au-delà de les faire entendre.
Au cours de cette conversation sans cesse interrompue puis reprise au fil des heures et des jours, se sont les enjeux et l’épreuve de la perte, les attentes cachées et les réparations que le chagrin réclame que Magne van den Berg fait émerger lentement de ce dialogue.
Si le père semble enjamber la perte avec une incertaine inconscience vis-à-vis de sa fille puisqu’il s’ est jeté dans une nouvelle relation trois mois après la mort de sa femme, la conversation va révéler l’inadmissible pour elle. Inadmissible de la situation, inadmissible de la perte de sa mère, inadmissible de la mort. Inadmissible aussi, ce père qui a eu si peur de la mort, on l’ apprendra, qu’ il a fait voler en éclat la place de sa fille, dans ce moment tragique.
Sans jamais s’ affronter brutalement d’abord, l’un et l’autre se tiennent sur le bord du silence, à coup de banalités échangées tout en s’accrochant l’un à l’autre, d’un jour à l’autre, s’appelant puis raccrochant, jusqu’ à ce que la tension se fasse jour puis éclate.
Elle délivre alors les blessures, l’amour qui attend, les impossibles tractations auxquelles se livrent le père et la fille avec la douleur de la perte et le désir de réparation.
Et elles n’ ont pas le même visage.
Et puis il y une faute qui encombre cette disparition, une faute pour laquelle le père n’ a pas d’oreilles et qui va précipiter vers la rupture.
La force de la pièce est là : elle nous fait une place tout du long, on devine le pourquoi des silences, on s’ énerve des malhonnêtetés inconscientes, on rit des empêchements, on est étreint par la fragilité, on est choqué par les intransigeances de la douleur, on suit père et fille, suspendus à leurs aveuglements comme à leurs vérités, à leur espoir de ne pas se perdre dans ce conflit, à leur espérance d’être entendus, eux, qui restent, la mère disparue.
La langue de Magne van den Berg se pare de simplicité pour explorer les abimes.
C’est sa force. C’est aussi le plaisir qu’ elle sait offrir à nos vies qui ne demandent qu’ à se réjouir de toucher leur profondeur.
C’est si bien ficelé par l’écriture et la dramaturgie que le suspens ne lâche pas, une heure durant.
Pascale Henry
« f – je veux que tout redevienne comme avant
p – ça sera plus comme avant
rien sera jamais plus comme avant »
© Daniel Ray
« La structure de la plupart de mes pièces est presque toujours la même, on commence par rire, parce que c’est souvent drôle, cette façon qu’ont les personnages de s’exprimer, de se tourner autour, de se défier ou de se méfier et puis… Souvent, quelque part vers le milieu, la tristesse arrive, des douleurs et des peurs anciennes remontent à la surface… Alors les personnages commencent à se blesser, c’est inéluctable. Au début ils sont encore prudents, et nous en rions, parce qu’ils se cherchent et s’auscultent à travers les mots, et puis une fois qu’ils se tiennent, ils ne peuvent plus résister, ils commencent à se tourmenter, à se trahir, et ils finissent par se perdre. »
« Je suis de l’école « show don’t tell ». C’est un principe de base de la formation de mime. On n’avait pas le droit de dire, il fallait montrer. En fait, je continue de penser que c’est un bon principe. Ne pas raconter ou expliquer au théâtre, mais laisser être, ou rendre tangible. Rendre tangible l’indicible, en faisant dire aux personnages des choses qui racontent complètement autre chose que ce qu’ils voudraient dire. C’est un point très important pour moi. Qu’un texte porte sur autre chose que ce dont il parle.»
Magne van den Berg
Conférence Boyer Lezing 7/5/23