Photos Sean Cackoski.

INFERNO

ART-ATTITUDE

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FESTIVAL D’AVIGNON 2021, AVANT-PREMIERE.

Les intrépides

Autrices : Marie Nimier, Carole Martinez, Marie-Sohna Condé lira les textes d’Alice Zéniter, Céline Champinot, Karoline Rose Sun, Odile Cornuz, Aïko SolovkineMusicienne : Karoline Rose SunMetteuse en scène : Pascale HenryCréation lumière : Michel Gueldry

Vu au Théâtre 14, Paris, les 20 & 21 juin 2021.

 

Encore une riche idée que ces Intrépides ! Imaginées initialement par Denise Chalem, première vice-présidente (sortante) et dont le projet sera – n’en doutons pas ! – repris par l’autrice dramatique Catherine Anne, qui officiait aux représentations du Théâtre 14 comme nouvelle membre du conseil d’administration de la SACD. Cette initiative permet aux autrices de se distinguer à travers une commande de courts textes, financés par la SACD et que Pascale Henry a mis en scène d’une manière raffinée et efficace. 7 est donc bien un chiffre magique puisque les 7 autrices ont toutes dit leur texte elles-mêmes sur la scène du théâtre 14 – à l’exception d’ Alice Zéniter, retenue, qui a été lue par la comédienne Marie-Sohna Condé.
La commande induit aussi un thème et celui choisi pour cette nouvelle édition était la/les Frontière(s) et, comme toujours, les thèmes imposés font un peu peur aux artistes qui ne cessent de trouver le moyen d’en parler sans être littéralement dans le sujet… et, de ce point de vue, cette livraison de ces sept textes est une réussite, d’autant qu’entre la commande (en 2020) et leur lecture (juin 2021), il y a eu une crise mondiale qui a rebattu les cartes de ces frontières, de leur notion – ouverte selon Schengen, fermées selon quelques illuminés extrémistes !
Pascale Henry a fait simple. Sol, pupitres, chaises, tout noir, amplis et le tour est joué. Carole Martinez commence avec Les confins et on se revoit vite en conversation, bouclé dans son appart, sans pouvoir en bouger, recueillir les angoisses de ses parents au téléphone, si ce n’est plus… Dans ce premier texte, le père est complotiste… il soupçonne les uns de prendre le contrôle de son ordinateur, les autres de saboter les freins de sa voiture à distance, sa femme de le faire aller exprès en forêt alors qu’il déteste ça… autant de délires de gens surinformés qui ne savent pas trier le bon grain de l’ivraie. C’est drôle, caustique et tellement véridique…
Céline Champinot suit avec La chienne, un texte plus cru, à la Despentes, qui dit les choses. Une relation entre une chienne et son maître qui là aussi prend la tangente de la frontière…
Odile Cornuz vient sans doute à point nommé dans ce septuor de femmes pour traiter de la frontière, vraiment, avec Flous. « La frontière est une enfant » dit-elle… elle fait la promotion d’une absence totale d’être empêchés de circuler… l’idée – voulue par l’autrice ! – c’est le cœur, où les autres lectrices, toujours à vue sur scène, qui se font l’écho de la pensée de la lectrice ! hilarant… bien fait et la guitare de Karoline Rose Sun vient ponctuer ces interventions…

Marie-Sohna Condé, seule comédienne professionnelle sur scène, s’empare du texte d’Alice Zenither Toujours au centre d’un cercle, qui nous rappelle que la frontière c’est nous, avec ces nouveaux gestes barrières « apprendre à penser à mon corps comme à sa propre étendue, plus un cercle d’un mètre de rayon dont je serais toujours le centre… » tout est dit !

C’est avec Naissance que Karoline Rose Sun se raconte avec un texte très personnel, impudique et sensible, toujours accompagnée de son objet transitionnel, à savoir sa guitare électrique, qui accompagne sa voix, – son cri de guerre devrait-on dire – : « Zeig mir, zeig mir dein », qui sera à la fois le cri de la douleur et celui de la venue au monde, celui des adultes, celui où on laisse son insouciance dans un coin et où on affronte le monde tel qu’il est… « Mon corps c’est moi » dit-elle et « aucun bruit ne m’effraie » et pourtant, elle en fait !

Ce n’est pas sur Marie Nimier qu’il faudra compter pour rentrer dans le rang… avec Peau d’homme, elle prend un malin plaisir à en décrire un, dans ses moindres détails anatomiques. « Peau d’homme, peau d’homme » chantonne- t-elle ; elle lui conseille, si ça ne va pas, si ça ne lui va pas, de se « dépecer » et dit vite… ça donne le fou-rire. L’œil polisson de Marie Nimier accompagne toute cette lecture – poème, une ode en quelque sorte…

Un moment d’apaisement avant le texte de Aïko Solovkine qui symbolise le plus la frontière avec Corde, récit glaçant d’une expérience passée entre deux mondes où le « colonel maréchal général » s’est saisi des lettres P pour Peuple, L pour Liberté, D pour Démocratie et C pour Changement pour faire une bonne dictature qui se sert des enfants pour porter ses idéaux puants sous des prétextes fallacieux !

A elles sept, ces femmes autrices, pourtant contraintes par le thème, ont donné un aperçu de ce qu’est une digression habile ce qui, à l’heure du grand oral de nos futurs bacheliers (quel foin d’ailleurs cette histoire, comme si parler et répondre à des questions était un exploit) et au moment où fleurissent partout des concours d’éloquence, confirme tout de même qu’une autrice est bien nécessaire pour faire évoluer les idées, dépasser les frontières et apporter une nouvelle piste à notre imaginaire…

Elles seront toutes (ou presque ! l’une d’elle attend un enfant qui viendra à point nommé en juillet) à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon (12/07) et au Conservatoire d’Avignon (le 13/07)…
Emmanuel Serafini

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