La case ou rien
D’un renversement de l’écriture du désir pour l’anéantir

de Pascale Henry

 

Ce qui rendait désirable ou produisait le désir si je me souviens bien, se trouvait à côté de la norme, s’écrivait en échappée, en part tranchée sur cette norme, se dessinait dans ce hors champ, attirant la part de désordre vers l’extérieur du cercle, on se risquait dans l’attraction pour quelques temps ou pour longtemps pour se connaître « autre » que produit de la norme, pour se griser ou se brûler ou apprendre à vivre à cette sortie du « convenu » d’avance.

Quelque chose s’est passé.
Etre dans la case rend désirable.
Le connu est devenu objet de désir.
L’inconnu, l’impalpable, passé épouvantail, repoussoir.

Obtiens une croix da ns tous les choix du tableau Excel
Deviens ce que la société désire
et les yeux se braqueront sur toi
nourris-toi de leur langue pendante le temps que tu captures leur regard quand bien même tu n’es plus là.

(On songe ici à Marylin, comment elle offrit comme personne son corps à la science du fantasme masculin, comment devenir LA femme, fût au prix de disparaitre entièrement comme sujet. Le sujet Marylin est dans ces carnets, retrouvés post mortem, il n’y avait pas d’issue possible entre remplir toutes les cases de l’objet de désir et « être là », et toutes les tentatives de les faire coïncider finissaient sous doses massives de tranquillisants, on sait jusqu’à quel point mortel, définitivement)

La case ou rien

On voit bien comment l’imposture est la figure gagnante d’un monde ordonné par une série de figures imposées où le sujet se dissout.

Baudruche interchangeable, objet de désir frénétique, fascinant, le temps d’en trouver un autre.
Qui lui ressemble. A un détail prés, nouvelle case, bouton de plus, même fonction.

Etre dans les cases se présente comme un substitut du désir, où s’est absenté la puissance de désordre et l’idée même que cela engage le sujet humain.
Il ne s’agit pas de savoir ce qui lui arrive et arrive avec lui mais ce que cela produit en terme d’attraction.

Cela est partout.

Dans les arts, on se demande ce qu’il reste.

Tout concorde à raconter la même histoire, une seule histoire, où les faits ont remplacé le récit.
Les faits n’ordonnent plus une question, un au-delà à leur existence.
C’est comme ça. Le réel est devenu une vitre blindée derrière laquelle on ne songe plus à s’aventurer.
Il s’agit désormais de mater bouche bée les faits et gestes de cette humanité.
Ce qui est a-normal est zieuté comme le reste. Sans trouble que celui du trouble à l’ordre public. Sans que cela « raconte », nous raconte quelque chose, nous attire au delà des faits, nous convoque dans une mythologie de nous mêmes à ré-inventer.
Au récentes et rapides décisions qui ordonnent les fermetures des théâtres ou la dislocation des équipes de soins dans les hôpitaux, il n’y pas de sens.
C’est à dire pas de vision qui nous contienne en tant qu’humanité vivante et désirante, nous en sommes au contraire expulsés.
Ce dont relèvent ces décisions sont simples allégeances à la norme. Comme les jeunes filles qui se font recouper leur sexe au laser pour s’assurer d’être désirable sans discussion, élus et fonctionnaires coupent les budgets parce que ça se fait, parce que c’est ça qui fait bander les banques par ce que c’est ça la norme.
Expulsés en absurdité

Ceux qui cherchent du sens, qui veulent en produire et l’adresser à ceux qui appliquent le démantèlement , ne veulent pas savoir, ne peuvent pas admettre, que les oreilles qui les entendent poliment parce que ça ce fait, parce qu’il reste une case « écouter » avant de passer à la case « proposer un ticket psy » puis «  fermer la discussion » les entendent comme le bourdonnement d’une mouche dont ils ont appris à supporter le bruit affolé de son vol, à calmer en ouvrant le leurre d’une fenêtre , qui n’a pas pour objet de lui rendre sa liberté mais de pouvoir mieux l’aplatir d’un geste net quand elle aura cessé d’être imprévisible.

Quand les filles se font découper le sexe au laser, elles disent le faire au nom de leur liberté de faire ce qu’elles veulent de leur corps pendant qu’elles obéissent à la norme d’un sexe tirelire propre et lisse comme une banque suisse.
Quand la confusion est à ce point on sait qu’on a perdu quelque chose.

Quand des artistes nous présentent le réel le plus cruel découpé au laser vitre blindée sur les faits, on sait aussi qu’ils sont touchés par la maladie, qu’ils ne se tiennent plus sur ce bord du monde où il ne fait pas toujours bon vivre. Qu’ils y sacrifient par paresse, par gout d’exister en Marylin du pire, ou qu’ils n’aient pas la force d’autre chose ou encore qu’ils se complaisent dans cette version du monde vidée de ce qui dépasse les faits, leur responsabilité est engagée.

Quand le pouvoir politique a gardé à son vocabulaire le beau mot de courage, pour tuer le vivant comme quelque chose qui le menace, alors on sait qu’il faudra prendre les armes, un jour ou l’autre avant d’avoir tout à fait disparu.

vimeovimeo FacebookFacebook