Une amitié de femmes posée dans un terrain vague où tout est à recommencer
Découverte à l’occasion de mes lectures pour le comité du festival de la Mousson d’été, j’ai été ravie par l’écriture de ce duo tragi-comique pour deux femmes dans un automne débutant… Privés de feuilles les arbres ne bruissent pas, le titre à lui seul délivrait une image sensible, un mystère aussi.
La pièce s’ouvre avec cette didascalie : Deux femmes assises devant leur caravane sur deux chaises de jardin en plastique.
Situation rare au théâtre que ce dialogue acéré et mouvementé planté dans un camping.
L’intrigante situation s’étend souterrainement tout le long de la pièce pour peindre les invisibles blessures qui ont mis ces deux femmes en présence. La première partie de la pièce les met en scène au réveil, un café à peine avalé, dans la recherche des vêtements qui pourront faire bonne impression aux visiteurs qui se sont annoncés entre 10h et 17h. C’est l’occasion d’un ballet aussi drôle que tragique où l’une, plus inquiète que l’autre des conséquences possibles, mène la danse. Entre essais ratés, vêtements trop serrés ou tachés sortis de leur garde robe, la panique monte instillant le malaise que produit soudain cette “image“ d’elles-mêmes à soumettre au regard. Jupe ou pantalon ? Unité ou différence? Qu’est ce qu’il vaut mieux montrer à ceux qu’elles attendent ?
Tout y passe.
Derrière ce ballet tragi-comique se distille le poids du regard social sur cette relégation en camping dont on ne comprend pas immédiatement les raisons. Le texte s’attache à décrypter les enjeux et les abimes de cette suspension au regard de l’autre dont semble dépendre « la suite ». L’autre social comme l’autre tout court, puisqu’il faudra se mettre d’accord. Et se mettre d’accord est la source de bien des malentendus où se dessinent ces deux figures de femmes. A l’arrière-plan du dialogue on découvre l’étrange relation entre elles : Gaby ne dit presque rien, ne répond bien souvent que par oui ou par non aux sollicitations comme aux sollicitudes de Dom.
L’intrigant silence de Gaby comme l’envahissement de la parole de Dom dans ce silence laissé, est l’armature de ce qui va se révéler par la suite.
C’est toute la force de ce texte.
On ne sait rien et on ne saura rien exactement des visiteurs que les deux femmes attendent et qui les précipitent dans ce ballet vestimentaire à la fois anxiogène, cruel et dérisoire.
Ce n’est pas le sujet. Ce que Magne Van den Berg dépeint ici c’est l’histoire de leurs corps et au-delà, de l’image du corps des femmes : quelle est la bonne image ? Il y a toujours une tache…
C’est aussi l’histoire d’une sortie de route.
Mais c’est plus surement encore, l’histoire d’une sortie du silence.
Car c’est au cours de ces essais multipliés que va se révéler doucement que les deux femmes ont eu à faire à la violence des hommes et à la relégation qui s’en suit. Au choix qui les voit assises ici, sur leurs chaises devant leur caravane.
Là aussi, la violence subie se délivre par la retenue des répliques et une approche surprenante du récit de cette violence qui tient Gaby au silence.
Le surgissement d’une parka oubliée au fond du placard retrouvée au cours de leur déroute vestimentaire va les entrainer dans la remémoration de l’histoire de cette parka dans laquelle Gaby est arrivée un jour il y a longtemps. L’objet réapparu et l’odeur qui s’en dégage encore, la parole va se frayer un chemin impromptu.
Le dialogue se resserre alors autour de l’image choc de Gaby arrivant “ avec ce petit visage abattu “ jamais oublié par Dom et, négligeant leurs visiteurs, les deux femmes vont être emportées ailleurs.
Le silence de Gaby va devenir obsédant pendant que Dom revient sur ce qui s’est passé.
La partition de Magne van den berg est là encore pleine d’intelligence sensible dans la façon dont elle va faire “récit“ de ces violences, de leurs conséquences et des choix qui peuvent suivre.
C’est proprement dans une reconstitution du sujet par la parole que la pièce s’engage alors. Par la parole de l’autre. Dom va parler par dessus l’absence de Gaby à sa propre histoire et l’omniprésence de son flot va trouver là une autre dimension que celle apparente, tout comme le silence relatif de Gaby révéler les fondations “de ce très peu de vie qui reste en elle“.
Va s’élever doucement le silence sur la honte, la révolte sourde et l’espérance tenace de vivre autre chose, maintenant qu’elles ont fait “le tour de la question“ et qu’elles sont ensemble pour faire face.