Jeu et mise en scène : Pascale Henry
Assistante à la mise en scène : Marie Bonnet
Scénographie : Michel Rose
Costumes : Audrey Vermont
Musique et espace sonore : Laurent Buisson
Lumière : Céline Fontaine
Composition vidéo : Mylène Vijette
PRODUCTION LES VOISINS
COPRODUCTION THEATRE DES ILETS, CDN DE MONTLUÇON- TMG, GRENOBLE
Origine
A l’automne 2019, Carole Thibaut, directrice du Théâtre des ilets CDN de Montluçon et Laetitia Guédon, directrice des Plateaux Sauvages à Paris, sont à l’initiative d’un rassemblement de femmes comédiennes, autrices, performeuses, metteuses en scène qu’elles invitent à créer autour d’une question : « Qu’est ce qui fait de vous une sorcière contemporaine ? »
Le succès de Sorcières de Mona Chollet n’est sans doute pas pour rien dans cette invitation. La revisite de la figure et de ses prolongements contemporains a ouvert un angle de vue singulier pour questionner la place des femmes qui échappent au modèle convenu.
Que restait-il dans nos préjugés et nos représentations de cette figure à la fois victime absolue et rebelle obstinée ?
Il s’agit pour les trios, binômes ou solos de travailler à des formes courtes, une maquette scénique, une installation en vue d’un événement Le grand brasier#1 qui aurait lieu à la fois à Paris et à Montluçon entre février et juin 2020.
Le Covid passe par là et tout s’arrête avant que les théâtres ne rouvrent et que la manifestation ait enfin lieu aux Plateaux sauvages à Paris puis à Montluçon en septembre 21 où Marie Dilasser et Céline Baumgartner, Nadège Prugnard, Chloé Delaume et Valérie Schwartz, Marion Aubert, Aurélie Van den Daele, Solenn Denis et Pascale Henry présentent leurs travaux de recherche au public.
Ce Grand Brasier#1 est accueilli à nouveau avec ses créatrices en mai 2022 au TMG, Grenoble.
Issu de cette commande est né Au coin du feu de Pascale Henry, dans le format court imposé par la manifestation (une trentaine de minutes) .
« C’est d’une finesse, d’une intelligence et d’une profondeur, l’air de rien, sans expliquer, sans moralisme, légèrement. C’est bouleversant et beau. » Carole Thibaut-sept 21
Suite à cette série de premières représentations publiques se fait jour l’envie de donner au texte et au spectacle l’espace qui pouvait encore lui manquer.
Une résidence d’écriture à la Chartreuse de Villeneuve les Avignon en mars et avril 2022 offre à Pascale Henry la possibilté d’aboutir une nouvelle version du texte à laquelle cette création va s’attacher.
Création
Seule mais pas seule en scène…
Une installation théâtrale pour objets parlants :
une femme, un feu, un fauteuil et une photo
Comment rejoindre la figure de la sorcière? Quels sont ces temps que nous vivons qui la voient réapparaitre? Quels tabous met-elle en lumière? Qui sont ces inquisiteurs?
Au coin du feu est un théâtre–installation où l’autrice et la comédienne ne font plus qu’ une.
Il met en scène une femme entourée d’objets parlants, une photo d’enfant, un feu, un fauteuil, comme autant de voix contradictoires qui habitent son salon d’écriture et qui tournoient autour de son échec à répondre à la commande comme à la question.
Confrontée intimement dans sa quête à la violence extrême subie par celles qui furent accusées dans le passé ou les mortes héroïques pour fait de résistance qu’ elle découvre dans l’actualité et qu’ elle admire, elle cherche désespérément sur son corps ou dans son histoire des stigmates à la hauteur de celles qui peuplent désormais son imaginaire.
Obnubilée par l’impossible comparaison, sidérée par la violence subie, elle cherche comment échapper à ce qu’ elle a promis d’écrire. Elle égraine entre ses hésitations les bribes de quelques histoires de théâtre qui lui valurent des brûlures sans voir ce qu’ elles dessinent au loin de commun avec les femmes dont les articles rassemblés jonchent le sol.
Les éléments autour d’ elle s’infiltrent dans son monologue par petites touches comme autant d’espaces intérieurs qu’ on entendrait surgir.
De la photo s’ échappe des récits d’enfance, dans le feu crépite la voix du désir et ses récits de guerre, sous le fauteuil grondent les voix des inquisiteurs intérieurs.
Les entend-elle ?
En tous cas, s’ entremêlant à la voix de la femme se dessine un portrait morcelé de celle que l’on voit se débattre dans une histoire aveugle d’elle même et qui lentement rejoint les atteintes autant que la résistance aux atteintes qui agitent la vie des femmes qui marchent hors de l’histoire écrite pour elles.
Au coin du feu est un portrait de femme en plusieurs dimensions, un portrait drôle et touchant, qui fouille sans expliquer, qui laisse regarder les menaces obscures qui guettent l’ écriture du désir des femmes, la force de ce désir, son évidence simple aussi.
C’est encore un hommage aux femmes qui accompagne la narratrice pétrifiée et que le spectacle met en lumière, héroïnes disparues dans d’autres pays, menacées, torturées, exécutées pour s’ être opposées aux féminicides, à la violence policière, à la haine, à la guerre.
Sur le travail de création
Sur l’écriture
Le travail de reprise du texte dans une version enrichie a été l’objet de la résidence d’écriture à la Chartreuse.
Sans bouleverser le principe de composition dramaturgique de la version courte qui donnait la parole aux objets qui peuplent la chambre d’écriture comme à la femme qui s’y débat, il s’ est agi de déployer la force et l’ espace de ces voix qui, sans dialoguer exactement, dessinent un paysage sensible autour de la figure de la sorcière invitée et refoulée dans la chambre d’écriture. Le rythme de la pièce est soumis aux assauts du renoncement à écrire comme à l’insistance des voix qui s’ infiltrent, prennent l’espace et forceront le passage vers une éclaircie et un possible.
Un peu à l’instar de L’ enfant et les sortilèges les objets familiers de la chambre s’ animent pour délivrer quelque chose, comme on tirerait sur un nœud.
Comme autant d’ éléments métamorphosés ou métaphorisés de son histoire, surgissent de ces objets parlants différentes textures sensibles, morceaux d’ elle-même que celle qui est là, ne semble pas entendre. Un ensemble concertant en quelque sorte dont elle n’ entend pas la musique d’ensemble.
L’ enjeu de l’écriture est justement de former un tableau où seul le public perçoit ce qui est invisible au personnage de la femme. C’est lui qui recueille les échos sensibles entres les voix et reconstitue ce qu’ elle semble peiner à apercevoir. Cette dramaturgie concertante tentant de rendre sensible et préhensible ce qui reste ancré et pesant dans l’histoire de toute femme : avoir été objet avant que sujet. Cela par le moyen d’une simple accumulation des détails simples d’une vie.
Car voit-on bien ce qui nous désigne, nous entrave ou nous condamne ?
Ce jeu de dupe entre la comédienne et les objets parlants, est le ressort dramaturgique sur lequel s’appuie le texte pour dessiner les forces comme les atteintes invisibles que celle qui doit écrire ne sait reconnaitre et qui l’entrainent dans un déni persistant de sa qualité de sorcière.
Jusqu’à ce qu’ un rêve furieusement habité de colère tue – et aussitôt oublié- l’entraine vers une certaine et imprévisible clarté.
Scénographie
La scénographie aura la charge de reconstituer une image reconnaissable et familière qui pourrait évoquer une chambre d’écriture.
Néanmoins elle devra donner la possibilité de déformer cette image et de rendre l’espace autre, de former des ombres gigantesques comme des embrasements.
Les objets doués de parole doivent vivre. Un peu à l’image des focalisations de l’ esprit, de la pensée, des souvenirs, ces différents éléments vont s’ animer ou se déformer comme autant d’espaces intérieurs de celle qui se bat avec les contradictions que fait naître la commande d’ écriture.
Le feu crépitant doucement dans l’ âtre saura manger le mur de flammes, la photo se frayer un chemin lumineux, le fauteuil marquer de son ombre ou de ses agitations l’espace familier.
Tout devra être vraisemblablement vivant.
Une composition vidéo et lumière
C’est une fine collaboration entre création vidéo et lumière qui va permettre de plonger le spectateur dans cet espace en mouvement.
Le feu élément symbolique de la chasse aux sorcières, chaleureux compagnon de la solitude, force du désir aussi, brule comme menace, comme doux crépitement, comme forge de l’élan vital. C’est ce que la vidéo dépassant l’ objet simple de la cheminée saura traduire. Pour la photo et ses sortilèges aussi.
Autant de travail de de recherche qui se feront au plateau entre création lumière et vidéo, rendant l’ espace magique par les mouvements qui l’ agitent, mouvements épousant celui d’un corps vivant, où chaque organe pulse d’un rythme et d’une fonction qui sont les siens.
Un créateur son et musicien en partenaire de jeu
Les objets parlants (feu, photo, fauteuil) distillent tout au long de la pièce le remue-ménage intérieur dont la femme est l’ objet. Nous avons choisi de donner aux objets la voix de l’autrice à quelques intonations près. Enregistrées au fur et à mesure de la construction et dans un timbre singulier pour chacune, c’est dans une étroite complicité de jeu avec le créateur son que le spectacle se jouera. Lui, tenant le rythme des voix – objets, la comédienne, objet perturbé par ce qui remue autour d’elle et la dépasse.
C’est ainsi à une très étroite collaboration avec les créatrices et créateurs (son lumière vidéo scénographie) que ce seule en scène sera peuplé de présences multiples.
Extrait
…
Le feu : Tu travailles. Tu n’as ni enfants, ni mari.
Sous le fauteuil : La pas mère est amère elle erre sur la terre ventre creux
Le feu : Tu ranges trente années de travail archivées dans des boites en carton parce que tu fais des travaux dans ton appartement. Tu ne sais pas trop ce qu’il y a là-dedans. Des plans de scénographie, des brochures griffées de notes, des articles, des programmes, des cahiers. Du désir vécu.
Sous le fauteuil : Branche sèche tu t’es vue dans l’arbre ?
Haha tu verras quand personne ne viendra
Quand tu seras vieille vermoulue qui viendra? Pauvre vieille on dira
La sorcière de la chambre 109 n’a pas de visite fallait y penser avant ton oreiller plein de larmes on le changera pas fallait y penser avant.
La femme : D’où ça vient ça?
Sous le fauteuil : Dans ton corps, maudite, La Roll’s Royce de la création installée gratos au garage et tu l’as laissée pourrir ?
La femme : Ça vient d’où ça encore ?
La photo : Elle fait du vélo, du piano, de la planche à voile, de l’escalade, du solfège, du ski, du volley ball, de la natation, descend des rivières en radeau, apprend toute seule à jouer de la guitare, chante dans un groupe de rock, intègre un cours de théâtre amateur, jure de rentrer à l’heure, dépasse les bornes, engendre des orages, tombe amoureuse terrifiée, elle écrit dans des petits carnets tout ce qui ne va pas sans savoir pourquoi, elle pense épouvantée à la mort chaque fois qu’elle doit s’endormir. Tous les soirs elle s’entraine à ne pas être ridicule le jour où ça viendra.
La femme: Encore et toujours qui revient.
On parle avec celles qui. On rit aussi.
« Moi quand on me demande je réponds j’en ai eu un mais il est mort » dit mon amie.
Et toc, sécheresse conjurée par la perte, la phrase retorse interdit d’aller plus loin.
Puisqu’il en faut un au moins ou le regret au moins sinon.
Ça revient toujours.
Vous avez des enfants ? Non
Ce Ha qui s’écrase, s’évanouit comme s’il avait vu la mort ou peut-être la fin du monde
Un peu de sucre ? Je dis
Comment ça va pour vous et la famille et les enfants ?
…