AU-DELA OU LADY MACBETH

de Catherine Benhamou- Grand prix de littérature dramatique 2020

Résidences de création :

17 au 20 mai 2022 MC2 Grenoble

Lecture publique le 20 mai 2022 en présence de l’autrice

31 octobre au 7 novembre 2022 au Théâtre Prémol

Mise en espace et rencontre publique le 7 novembre 2022

Texte lauréat de l’aide à la création ARTCENA (2017)

Mise en scène : Pascale Henry

Elle : Saffiya Laabab

Lui : Brahim Koutari

Scénographie : Michel Rose

Musique et espace sonore : Laurent Buisson

Lumière : Michel Gueldry

Composition vidéo : Mylène Vijette

Costumes : Audrey Vermont

Régie générale : Céline Fontaine

Diffusion : Emmanuelle Guérin 19.10 prod

Administration de production : Jean-Luc Girardini

PRODUCTION LES VOISINS

Résumé de la pièce

C’ est une histoire d’amour et de violence ou peut-être le portrait de la violence du manque d’amour.

C’ est l’histoire d’une rencontre. Entre Elle et Lui.

Lui, personne ne peut l’approcher, « un genre d’homme qu’ on ne peut pas regarder dans les yeux », un qui ne parle à personne, qui ne sait ni lire ni écrire, connu dans le quartier pour sa violence.

Elle, on l’ envoie pour le calmer, parce qu’ elle connaît ça la violence, elle la connaît pour l’ avoir subie et qu’ « on ne peut plus rien lui faire ».

C’ est une histoire de mots qu’ elle a et qu’ il n’ a pas, de mots comme des charges d’explosifs, qui sauront soutenir son désir à lui d’ « arrêter le monde ».

Quand la pièce commence lui est mort et elle fait face à ses juges sans se dérober.

S’ entrecoupent à son récit les multiples étapes qui ont forgé leur lien comme on fond du fer.


Extrait

Elle : Le rôle des femmes dans cette vie c’ est pire que paillasson on marche dessus on s’ essuie les pieds on couche dessus si on ne trouve pas mieux

Lady Macbeth c’ était écrit dans le journal

Lady Macbeth

vous aussi vous l’avez lu ?

On ne la connaît pas cette dame si elle a existé

si elle existe

c’ est possible mais on ne la connaît pas

On ne connaît pas grand-chose

ça ne veut pas dire être une imbécile

ça veut juste dire qu’on n’ a rien appris

qu’ on est pas au monde

alors Lady Macbeth si vous voulez

Mais on n’ est pas là pour parler de cette dame, de cette lady

on est là pour parler de lui

celui qui vous intéresse maintenant

celui qui vous occupe

maintenant qu’ il est mort sans savoir qu’ il l’ est

du reste il n’ y a rien à dire

Prendre la fuite on n’ y a pas pensé monsieur

pourquoi prendre la fuite?

se sauver de quoi?

comme si on tenait à cette vie

comme si on avait quelque chose à attendre d’elle

Prendre la fuite c’ est pas le genre

être là devant vous monsieur

être là pour répondre à vos questions ça oui

…..

Les autres

rire et plaisanter

comment ils font comment on peut

vivre et rire et y prendre plaisir

jouer le jeu de cette vie comment on peut

boire et rire plaisanter

– la vie c’est une perte de temps !

c’ est ce qu’ il disait quand il parlait

la vie c’ est une perte de temps

Insouciants non monsieur on ne l’ a jamais été

insouciants

dès le début dès qu’ on s’ est vus

on a su qu’ on ne le serait jamais

insouciants

il y avait cette chose qui empêchait

cette chose qui bloquait le cerveau

Photo Rene Bohmer

Une pièce qui fait face

Décider de monter une pièce c’ est faire une première rencontre, celle d’ une écriture.

Dans Au-delà ou Lady Macbeth  l’ écriture de Catherine Benhamou fait face à la sidération où plonge la grande violence pour la regarder au-delà des faits et de ses effets, pour la regarder dans les yeux et tenter de saisir ce qui l’ a mise au monde.

Au départ de ce texte, Catherine Benhamou s’ interroge sur ce qui peut conduire une femme à se joindre au projet destructeur de ces hommes qui ont commis des attentats.

Sans jamais  évoquer la question religieuse, elle s’  intéresse plutôt à ce qui a pu trouver du sens ou faire sens dans ce désir de destruction.

L’  écriture de Catherine Benhamou, est toute d’ humanité avec ses personnages pour explorer la destruction intérieure dont ils sont les objets, elle traque dans la langue les blessures, les rejets qui ont empoissonné le désir, le vivant, fermé l’ accès au sensible et glissé en eux la certitude de ne pas faire partie du monde.

Elle trace dans les répliques la sève empoisonnée de la violence qui s’ est emparée d’eux comme autant de malheur mais aussi comme une porte de sortie, la seule, désespérément, pour survivre à leur écrasement.

C’ est l’occasion d’entrer en connaissance sensible avec le désir de mort venu recouvrir celui de vivre, et au lieu de s’ en choquer, de ne faire que s’ en effrayer, on est étreint par ce qui manque à ses vies. Et la folle embardée qui va être la leur, est le reflet troublant de ce manque.

Manque qui interroge sans pitié cette absence mortelle de récit commun de nos sociétés qui peut conduire à s’ engouffrer dans un désir d’héroïsme pour rompre avec la honte de l’échec.

« J’ai envie de parler du monde qui nous entoure. Souvent, mes personnages doivent batailler pour s’en sortir. La vie n’ est pas toujours facile pour eux. »  Catherine Benhamou

Les deux protagonistes qu’ elle choisit pour écouter ce qui les constituent et constitue le drame sont des blessés de guerre. De celle de l’ exclusion et de ce sentiment de ne pas être  de ce monde. Qu’ ils n’ y ont pas de place.

Sans que les choses ne soient soulignées, on entend qu’ ils viennent de ces endroits de vie, où l’ horizon n’ a rien à promettre, où règne l’instinct de survie plutôt qu’ autre chose.

Elle, a eu à faire à la violence des hommes, de son père comme des jeunes de son quartier, elle ne veut pas baisser les yeux, c’ est sa force et sa défaite. Lui, ne sait ni lire ni écrire, son corps est un bunker armé contre l’humiliation.

La pièce s’ enfonce dans les profondeurs de ce mal. Elle le touche comme on le caresse.

C’ est toute la force de ce texte qui, au lieu de produire l’effroi que l’ acte qu’ ils préparent devrait produire, nous étreint. Parce qu’ il suscite l’ envie simple que s’ enraye leur projet devant la rencontre que nous faisons avec leurs subjectivités, leurs blessures, leurs inventions, l’ attention qu’ ils se portent dans cette reconnaissance qu’ ils reçoivent pour la première fois, l’ un de l’ autre.

  

Il s’ en faut d’un cheveu pour que cette rencontre soit d’ amour véritable, c’ est à dire créateur de vivant.

Un cheveu qui manquera, qui a manqué, cruellement, à leurs existences.

Et qui nous met face à ce manque.

Que chacun d’entre nous saura reconnaître. Et sans doute déplorer.

Comprendre ce qui peut manquer mortellement à une vie, essayer de s’ approcher de ce qui peut tuer l’ être,  c’ est le comprendre pour nous mêmes, c’ est réussir aussi à se dessaisir du seul effroi des faits, de ces faits dont nous sommes les témoins hébétés  de notre société et ré-humaniser notre regard là où il serait tenté de se terrer dans la peur. Dans la peur et la haine en retour comme seul rempart.

L’ écriture de Catherine Benhamou, elle, s’ avance au-delà de la peur, au cœur de la question que lui pose la violence brute et son absence d’ entendement possible.

On y entre avec elle et on est étreint par ce qu’ elle sait offrir à notre regard.

C’ est un prodigieux portrait de femme qui nous y conduit.

Décider de monter une pièce, c’ est aussi faire la rencontre de comédiens pour la porter.

Alors que j’ étais plongée dans certaines craintes vis à vis de l’œuvre, dans les malentendus qu’ elle pouvait générer compte tenu des crispations actuelles qui agitent notre société j’ai donné la pièce à lire à Brahim Koutari, rencontré brièvement  il y a quelques années autour d’une création et alors qu’il était à l’ école de Saint-Etienne. Brahim vient des quartiers de la banlieue de Grenoble et je voulais savoir comment il recevait la pièce. Il l’a lue avec une amie issue de l’ école comme lui Saffiya Laabab pour lui donner la réplique. Leur enthousiasme pour la pièce, les conversations que nous avons eues autour du sujet, de son urgence, leur assurance qu’ elle était poignante et nécessaire a levé toute appréhension.

Au cours du travail que nous avons mené à la MC2: Grenoble pour donner une lecture publique, la rencontre s’ est avérée immanquable.

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