L’h qui craignait la douceur

de Pascale Henry

 

Du noir lentement et au centre de la scène apparaît un homme. Il est torse nu. Les cheveux défaits. Au bout de son bras qui pend le long de son corps sa chemise froissée. 

J’ai fermé ma porte et j’espère que vous n’entrerez pas. J’ai une ou deux choses à vous dire que je ne peux plus taire et pour cela je dois pouvoir rester seul.

Cessez avec cette douceur elle m’insupporte. Soyez dure, ne me protégez pas. Arrêtez de me sourire ainsi quand vous me regardez je préfère voir des rugissements dans vos yeux que ce lac sucré et infiniment calme. Votre corps est trop mou trop doux on s’y enfonce comme dans un marécage. Il y dort une menace où je ne peux plus déposer de baiser car je crains que mes lèvres y fondent en s’y accolant. Votre douceur est une lèpre.

Cessez. Regardez-moi sauvagement, avec froideur parfois, ou même avec indifférence si vous le pouvez mais finissez en avec la douceur elle me fait peur, elle me fait horreur car rien d’autre jamais ne vient me soulager d’elle.

Quand je vous vois vous approcher vos mains légèrement ouvertes pour déjà me saisir, il me vient dans le corps l’écœurant pressentiment d’une anesthésie à laquelle je ne sais rien opposer. Je suis, seulement à vous voir, empoisonné déjà par votre regard où nul angle n’apparaît.

Je sais que je vous blesse en vous disant ceci, que je blesse l’amour que vous me portez mais c’est bien à quoi j’aspire. Car peut être alors verrais-je enfin se fendre dans votre pupille ce lac sans fond où vous me noyez. Car vous ne soupçonnez pas le bonheur et le soulagement qui me viendraient si les mots que je prononce réussissaient à faire déborder le lac paisible de vos yeux et à durcir les courbes de votre corps en d’imprenables frontières.

Il faut que je vous inflige une blessure. Chaque mot doit être un coup porté comme autant de coup de couteaux dans votre chair molle et aimante. Il en va de ma vie.

Voyez à quelles extrémités vous me faites arriver, penser à ces coups que je vous porterais me soulage. Et il me vient la terreur d’une frénésie qui pourrait m’emporter à me délivrer ainsi. Je vois votre corps transpercé par la lame et chaque trou que j’y fais me rend lentement à l’air libre. Il me semble que je remonte des profondeurs en poussant le couteau comme je pousserais sur mes jambes pour me ramener à la surface.

Pourquoi me faites vous ça  ?

Je suis autant rempli de terreur et de dégoût que d’amour pour vous.

Car je vous aime mais je ne peux plus souffrir alors que je vous tiens contre moi ce dégoût de moi ou de vous – voyez je ne sais plus cette différence – qui tombe chaque matin comme une malsaine rosée sur nos corps enlacés.

Je tremble de rage en vous écrivant, et chaque phrase est un rempart dressé contre votre infinie douceur, je pleure de rage aussi en pensant que peut-être, elle ne saura l’entamer.

Je redoute de vous revoir.

Je vous aime.

Noir

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