Le cochon est-il une série de tranches de jambon ?
de Pascale Henry
Il y a des bruits de bottes. Il y a comme des bruits de bottes. Il se passe quelque chose qui fait penser à des bruits de bottes. Comme il est difficile de dire exactement ce que c’est que la menace qui est là, disons des bruits de bottes. Par ce que ça ressemble à quelque chose qu’on voudrait pouvoir évoquer sans pouvoir l’évoquer vraiment. C’est quelque chose qui fait peur. Mais c’est une peur sans nom parce qu’elle n’a pas de visage encore. Alors c’est comme des bruits de bottes qu’on entend arriver au loin. C’est ça qu’on finit par entendre dans sa tête pour dire cette peur sans nom. On reconnaît sa peur au bruit des bottes. On la reconnaît à ce rythme continu lointain à sa violence contenue, promise mais point là encore. C’est ce bruit-là qui pourrait dire cette peur qui n’a pas de nom. Il y a des bruits de bottes au lointain. La promesse d’une violence absolue. Désespérante.
« Mon amour,
Tu m’écris des choses si belles, si promptes à soulever le désir de vivre qu’il semble que mon cœur n’ait jamais battu jusque-là. Je ne sais d’où te vient ce regard que tu poses sur chaque heure de l’existence comme sur autant d’énigmes magnifiques, je ne sais pas pourquoi je t’inspire ces lignes où soudain j’apparais autre qu’en moi-même, je ne sais pas non plus ce qui de moi s’émeut si gravement à ce que tu dessines sur ces pages. Mais sans doute est-ce-là un mystère qu’il ne faut pas tenter de percer à jour. Quelque chose se dérobe en moi, est dérobé par toi en même temps qu’il me semble être là comme jamais. Ô mon cœur il y a des guirlandes aux fenêtres ce soir et une rumeur joyeuse parcourt les rues de la ville, on dit qu’un homme est arrivé et qu’il cherche l’adresse où il croit habiter. »
Les Enragés : Ô mon cœur des guirlandes mais qu’est-ce qu’elle dit ?
@ Le cochon est une série de tranches de jambon attendant d’être emportées vivement de l’étagère du supermarché par une main affairée et pressée de remplir le vide.
Il faut oublier le cochon, et plus loin encore oublier à quoi ça fait penser…
Il faut partir de la tranche de jambon.
De la tranche seule pour célibataire, ou du duo de tranches découennées pour couples ou femme seule avec enfant, ou du pack familial moins cher forcément moins cher on a le respect des familles du pack de douze serrées sous la cellophane.
Partir de l’objet.
Il se trouve qu’une fille ça crie quand ça ne veut pas.
Ça crie comme un cochon quand on le saisit par les oreilles pour lui glisser une lame dans le cou.
Il se trouve qu’une fille quand ça ne veut pas ça dit non.
Ça le cochon peut pas le faire, le cochon est une bête. Mais il dit non quand même c’est pareil.
Quand une fille crie parce qu’elle veut pas ça ne veut rien dire de particulier. C’est juste qu’elle crie comme un cochon qui veut pas y passer.
Le cochon crie quand on le tue.
Les femmes crient quand on les baise et qu’elles veulent pas. Elles crient encore quand on les brûle au fond d’une poubelle.
Normal. Elles crient. Mais ça ne veut rien dire de particulier. Rien de plus qu’un cochon qui crie quand on veut en faire des saucisses. Faut penser aux saucisses sinon on arrive à rien.
Le cochon est fait pour faire des saucisses. Il crie comme un cochon quand c’est le moment d’y passer alors il faut penser à rien quand il crie il faut juste faire ce qu’on a à faire. Quand on rigole à plusieurs ça passe encore mieux. Ça fait comme une fête. Et la fête ça compte.
Une série de tranches de jambon est un cochon qui a disparu dans sa forme initiale
Le cochon est en tranches dans le supermarché
Donc tout le reste est dans le supermarché
En tranches ou autrement
Un, deux, rien d’autre, pas de troisième voie
Un, deux
Un : cochon, deux : tranches de jambon rien d’autre
Donc tout le reste qui reste est bon pour la poubelle
Bon pour le cochon qui mange dans les poubelles
Donc bon pour le supermarché
La boucle est bouclée
Parfaitement bouclée pas de reste
Un monde parfait
La perfection ça ne se discute pas que ça vous plaise ou pas.
Si ça ne vous plait pas dites-le on en fera du pâté.
Du pâté de révoltés
Ça s’avale comme le reste surtout bien préparé.
On sait bien ce qui leur plait ce qui les fait saliver les énervés.
On en fera du pâté
Et en tête de gondole par-dessus le marché
Tout est possible Tout est parfait
Tout est possible Tout est parfait
Le cochon disparu dans les tranches tout est possible
Il y a des bruits de bottes. Il y a comme des bruits de bottes.
On sait ce qui compte enfin puisqu’enfin on peut le compter.
Il y a des bruits de bottes il y a comme des bruits de bottes.
L’œil n’est pas une fenêtre sur le monde, l’œil est une petite boule ronde et gluante qui marche exactement comme un appareil photographique. L’œil est un organe.
Quand on perd un œil on ne voit plus. Alors il faut en mettre un autre. On en trouve là où on peut. Il y a des pays où on en trouve. On les prend là-bas
L’enfant crie quand on lui prend un œil mais ça n’a pas de sens particulier. C’est juste un réflexe dans la chaîne biologique qui le constitue. Là où on trouve des yeux à acheter on les achète. On les ramène à ceux qui ont payé pour ça. En prime on joint le numéro de ceux qui font l’installation service service.
Jeanne d’Arc à cheval et en armure : Où est le chef ? On va se le faire ! Où est le chef ? Debout les morts ne voyez-vous donc pas le massacre, ne voyez-vous plus le crime tas de veaux paissant dans les pelouses de Mac Donald ? Ne voyez-vous plus le crime parce qu’il n’a pas la couleur du sang ni ne retentit du fracas des armes ? Il y a un crime perpétré contre la vie sensible et partout on assassine. N’entendez-vous pas ? Ne voyez-vous plus ? Misère, misère, vous ne voyez plus. Vos larmes mêmes empestent la graisse des bons sentiments, vos larmes ne reconnaissent rien et personne ne saurait en être le digne témoin, car vos larmes se suffisent à elles mêmes parce qu’elles suffisent à votre jouissance. Vous avez le visage couvert d’une cagoule de mort et vous marchez joyeusement au pas d’une marche funèbre où c’est vous qu’on enterre et vous tenez la pelle qui ouvrira vos tombes. Debout les morts !
Le monde est devenu plat comme une carte postale. Vos corps ne raconteront bientôt plus rien à les vouloir silencieux de la vie qui les agite. Quels sont les mots qui vous portent, quels sont les mots qui vous portent ? Les mots qui vous portent ont la pauvreté et l’aridité d’un désert sans ombre. Mais c’est de l’ombre des choses que nous vivons, c’est de l’ombre que nous apparaissons demi-clones aux sourires grimaçants de tranquillisants !
Ô triste cortège revêtu de son habit de bagne effaçant tout et tous étant effacés en lui…
Que sont devenus nos paysages d’incertitude ? A qui a-t-on vendu les terres où nous arpentions des questions sans réponse ?
Bug de Jeanne d’Arc
– Qui c’est celle-là ?
– Jeanne d’Arc
– Oh pauvre