Plastique des femmes

de Pascale Henry

 

A la plastique des femmes, je leur préfère cette plasticité qui les fait s’intéresser à ce qui ne les concerne pas directement. Cet état de déportées qui noue à leur regard la face de l’autre.
Regarde-les créer des pièces hantées par des questions d’hommes, des histoires de père et de fils, de seigneurs de guerre, de désir déchiré entre vierge et pute, de pouvoir à prendre, d’idéal à réinventer, regarde-les épouser leurs turpitudes comme si elles pouvaient boire à cet espace étranger à leur condition première. Et oui elles y boivent… de l’autre.

Quand elles s’emparent du texte masculin, lui offrent leur corps pensant dedans, invitent leur imaginaire à la fête, on ne fait pas de commentaires sur leur sexe.

Mais il arrive qu’elles puisent un jour à cet autre récit du monde signé d’une femme.
Il arrive qu’elles veuillent en découdre avec leur propre sang, avec le silence, l’histoire de leur chair, celle qui n’est pas écrite, celle-là sans références anciennes, si peu de références nouvelles, il arrive qu’elles se découvrent autre, découvrent leur voile de déportée, et se mettent à changer les meubles de place pour voir ailleurs.
Il arrive alors qu’elles mettent sur la scène, des femmes qui vivent d’autre chose que de leur destin de « femme dans Homme », qu’on les entendent rêver la vie, la discuter fermement, lui dessiner d’autres contours que les attendus. Il arrive qu’on voit sur les scènes des femmes qui pensent, des femmes qui se battent, des femmes désespérées et désirantes, des femmes noyées qui nagent, des femmes libres qui portent des menottes. Il arrive qu’on voit des hommes fendus qui parlent une langue autre, des hommes perdus pour le sang et l’épée, gagnés à d’autres contrées, des amants qu’elles inventent sans peur d’elles.

Quand elles font ça, on parle de leur sexe.
Quand elles font ça aussi, on dit que ça ne concerne qu’elles. Que le regard des hommes ne saurait se déciller à cet état du monde peint par elles.
On les soupçonne de négligence grave, ou d’animosité patentée envers les hommes.
On dit qu’elles les ridiculisent ou qu’elles se vengent.
Quand elles les dessinent autrement.

Quand les femmes ne supportent plus au sens propre le socle du masculin, quand elles n’engendrent pas, comme les hommes, de l’Homme, quand leur regard s’échappe ailleurs, on dit que c’est de l’attaque en règle. Et pour partie c’est vrai, à laisser s’engendrer du féminin autre que ce féminin HOMME, les hommes éprouvent de l’évanouissement. Bien souvent. Et l’évanouissement leur est interdit.

Au banal renversement des positions auxquelles on essaye alors d’inviter, (et ce simple jeu de miroir a ses limites, c’est juste histoire de dire « mets ton corps à la place du mien imagine le monde depuis moi, imagine qu’on dise les Femmes et que ce terme générique te contienne toi qui est homme, on dit imagine pour essayer de faire apparaître l’invisible ) récits de mères et de filles, conquête du pouvoir, femmes sans enfants , vision de l’homme écrite par les femmes, désirs de femmes, désir simplement, pourquoi ne pas prêter le regard ? Pourquoi n’y gouterait-t’on pas une vision du monde ? D’un monde qui existe …
Pourquoi ce qui est possible pour un sexe ne le serait pas pour l’autre ?

Mais cette sorte d’équivalence logique est hors d’écriture. Le corps des hommes est, le plus souvent sans entrainement et il se brise à ce qui requiert une souplesse entretenue dés l’enfance. Parfois à coups de fouets.

Les femmes ne sont pas des hommes comme les autres. Et les hommes tremblent devant la contagion du féminin tel qu’ils l’ont inventé, serpillière, objet, soumise, muette. Autant de positions peu enviables à l’imaginaire masculin de référence à qui il faut un objet pour se jouer de l’existence, un petit autre qui ne doit pas disparaître non, mais se garder d’apparaître.
A l’aube de parler, de nommer, d’inscrire lentement dans la langue ce que cette humanité serait ou ne serait pas, ce que NOUS voulions devenir ou pas, les femmes n’entrèrent pas dans l’Histoire. La langue fut toute entière masculine. Et dans cette langue la femme, une invention qui perdure…

Comment entrer alors, ailleurs que désignées par nos récits encore et toujours hors de l’histoire commune ? Sur le bord au mieux (c’est étrange…) , au rebut au pire (histoire de bonnes femmes !) ?
Qu’elles continuent à se taire ou qu’elles parlent les femmes…l’Histoire millénaire est-elle si puissante qu’on ne puisse lui réinventer un visage ? Et une langue neuve à deux sexes ?
D’où tient-elle cette puissance inébranlable cette langue sans autre ?
Quand le ravage est sous nos pieds ?

Pascale Henry (35 degrés à l’ombre)

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