Photos Stéphanie Nelson

Vingt-quatrième édition de La Mousson d’été : Ecrire le théâtre d’aujourd’hui

 

Théâtre du blog

 

Présence(s) de Pascale Henry (France). Troublant et onirique, le texte où se mêle blessures, mélancolie, rêve, modernité, mémoire des anciens donne une place déterminante à la voix. Ici perçue comme personnage.  Elément poétique et théâtral par excellence, la voix donne une sensibilité, une couleur singulière à l’un des thèmes majeurs de la pièce : la construction d’une identité féminine.

Elisabeth Naud

 

FILIATIONS

Une femme noire d‘une quarantaine d’années, se bat chaque jour pour faire face à son quotidien ordinaire, comme tous les autres personnages qui pourraient l’habiter. Travailler, manger et faire manger, enseigner ou faire des ménages peut-être, elle est seule, elle est multiple, elle est de Clermont-Ferrand ou du Périgord. Elle résiste simplement, banalement, elle vit, elle survit, elle a élevé sa fille, lycéenne de 17 ans, et ça n’est pas fini.

Pourtant, elle devient destinataire d’un curieux message par un distributeur : LA PROPRIETAIRE DE CETTE CARTE EST DECEDEE.

Sa carte bleue l’a tuée ? Les billets devenus trop rares l’ont rayée du lot des gagne-petits ? Elle fait un cauchemar en tête à tête avec une machine bancaire ? Ou une curieuse pensée venue d’ailleurs s’est installée dans son cerveau ?

Sa fille et ses amis ignorent tout de sa résistance quotidienne, ils ont d’autres histoires à vivre ou à rêver, on n’est pas (si) sérieux quand on a dix sept ans, à moins qu’il ne faille courir s’engager dans l’armée pour échapper au lycée.

Alors que les messages téléphoniques passent mal entre la mère et la fille (elles n’ont décidément pas les mêmes émoticônes ni la même syntaxe du sms), s’insère la PRESENCE étrange et pourtant familière, celle du spectre de la grand-mère. Et elle parle, la grand-mère, l’arrière-grand mère, comme elle veut, quand elle veut, et elle sait se faire entendre et écouter sur un autre réseau…

Les quotidiens multiples de Pascale Henry (on les connaît, on les reconnaît) sont traversés par un effet magique, une présence qui mène le jeu et s’impose chaque fois qu’elle le trouve nécessaire. Comme un fantôme parmi nous, une sagesse venue d’ailleurs qui se mêle de ce qui la regarde toujours.

Dans le théâtre des Grands Anciens, certains personnages quittaient provisoirement les enfers et retraversaient le fleuve qui les séparait des vivants, poussés par l’urgence d’éclaircir ou de dévoiler un secret de famille. Ainsi apparaît la Présence qui vient se glisser parmi les femmes de son clan.

Présence(s) c’est aussi comment on demeure présents à soi et aux autres, comment, dans un quotidien où le présent est envahi d’urgences vitales, une morte rappelle paisiblement que la vie n’est pas toujours ce que l’on croit.

J.P.R., Festival la Mousson d’été

 

Ils nous ont écrit

 

« Mon oreille s’est montrée sensible tout de suite à l’écoute du texte que vous avez écrit et ne l’a plus lâchée. J’ai en effet entendu- au sens propre – une partition d’une remarquable intelligence, sensible, charnelle, empathique, exigeante aussi (mais y-a-t-il de bon théâtre qui ne demanderait aucun effort, aucune exigence d’écoute?), dans une langue qui pense et sait se faire « pensée » sans être conceptuelle mais accompagne, complexifie, intensifie, éclaire les trajets ou les suspens des personnages ; ces personnages très proches de nous ou de nos enfants, en humanité désarmée et désarmante. Votre sujet nous concerne tous et toutes.

A quoi sommes nous présents, acceptons nous d’être présents, de participer, dans nos quotidiens ? Toutes ces questions sont celles de votre spectacle et du personnage qui l’initie, la mère. Magnifique début dans cette succession d’images muettes de l’immobilité et du temps qui passe. Comme un sas qui nous permet d’entrer, d’arriver là où vous voulez nous emmener, à l’écoute du silence…Plein de bruits inaudibles.

Et puis il y a une chose en plus, LA PRESENCE, ce « personnage » à la voix évanescente qui vient éclairer les silences, transformer en extime l’intimité consciente ou inconsciente des protagonistes. Moment durassien entre l’écriture et la chair.

Sa parole apporte des éclaircies aux spectateurs et sa présence au plateau semble désobscurcir le ciel des personnages. . LA PRESENCE est femme dans son entièreté.

La deuxième partie nous emmènera à travers le personnage de la fille, apparue déjà dans le premier acte, du côté de la jeunesse avec les deux autres protagonistes, jeunesses aux prises avec leur avenir, avec l’amour, avec la nécessité de se trouver une place dans le monde, cette jeunesse qui parle vite, et trop, comme le monde. Jeunesse qui se cherche et chez qui la « présence » de chacun, chacune peut s’égarer dans des modes, des modèles, des conformités du moment entre misère, désespoir, nihilisme, addiction aux écrans, prise de risque inconsidérée ou fausse exaltation de la violence. J’ai été très sensible à une autre forme de présence (le fantôme de la grand-mère africaine) qui vient rappeler à l’ado blanche ses origines, lui redonner des pistes de compréhension en la rappelant à sa singularité culturelle comme richesse.

Et puis pour finir l’orage, le tonnerre qui vient comme un ébranlement du monde étouffant et invivable que la pluie vient laver des fièvres et des plaies et de laquelle on s’abrite   en un lieu partagé et précaire où se retrouve, provisoirement, la communauté.

Vous féliciterez l’ensemble de vos actrices et votre acteur dont le talent soutient votre écriture et vos techniciens pour le beau travail accompli en son et lumière.

Je vous remercie encore car certains soirs au théâtre je m’installe un peu confortablement pour regarder le spectacle d’un œil distant, appréciant plus ou moins , consommateur quoi, eh bien, l’autre soir j’ai simplement été présent , je me suis senti présent au présent, entièrement présent.

Et j’ai eu l’impression parfois que nous étions tous présent.e.s et ne faisions qu’un avec la Présence, c’est à dire avec vous l’autrice. Nous étions humains. »

 

Un homme 60 ans

 


 

« Ma classe et moi avons adoré le spectacle.

 

L’interpénétration des langages et l’incommunicabilité qui en ressort, nous ont vraiment touchés. Les acteurs ont joué avec force, netteté, précision. On les tous aimé pour leur fougueuse capacité à habiter le plateau et la direction d’acteur était formidable. On a ressenti la musicalité qui a commandé le rythme général. La pureté de la scénographie et la beauté des lumières nous a frappés… »

 

 


 

« Quelle bienveillance, quelle écoute attentive face à la jeune génération.

Rien n’est ici frontal, justement parce qu’il y a perspective : celle de la scénographie, belle et économe, mur qui se recule à mi parcours / celle des voix enchâssées : voix live, voix de la Présence reprise au micro , et voix surgies de derrière la mémoire, sans oublier le silence pudique des textos. Et ce mille feuilles génère un objet poétique. Cela n’enlève rien à l’urgence en perdition des jeunes paroles, ni à l’anxiété maternelle- ce sont là des figures touchantes et qui nous embarquent.

Cela nous donne à entendre un au- delà de l’ici et maintenant qui nous nourrit, nous enracine, un « à venir » fait de points d’interrogation ; cela nous confère à nous spectateurs un statut de rêveur actif, et non de gobeur d’histoire bien ficelée. Comme un caillou qui fait des ricochets…

Alors merci de parier sur notre intelligence et nos rêves. »

 

Une femme 50 ans

 


 

« Chronique pertinente des préoccupations de notre époque, mise en scène avec une vivacité réjouissante, voilà un théâtre de paroles denses où l’on ne parle pas pour ne rien dire. Cette pièce au rythme enlevé m’a emporté.

J’ai été étonné et un peu déçu que la pièce soit déjà finie, et j’aimerais me replonger dans cette ambiance… »

 


 

J’avais des émotions assez fortes, le désarroi face au monde que vous décrivez, je l’ai reçu, avec une certaine puissance. Un aspect très rassurant dans l’idée que ses émotions sont partagées, par les ados comme par les adultes, étrangement

Les moments de tendresse avec La présence, cette écoute silencieuse m’ont fait ressentir une douceur, un laisser aller qui me rendait plus receptive encore à l’angoisse des personnages, aux rires, aux crises. Chaque geste d’amour, au milieu de toute cette solitude, avait quelque chose d’immense. Pas dans le sens grand ou majestueux, mais dans le sens extrêmement visible, et extrêmement existant. 

 

Le texte m’a amenée vers ça, je ne comprenais pas tout, jeu de mot et sonorités s’incurvant. C’est pas toujours facile de se laisser aller, mais avec la forme de votre spectacle, ça fonctionnait bien, facilement. Je ne sais pas si c’est parce que je suis particulièrement réceptive à ce type de formes. En tout cas, je suis « rentrer dedans » tout de suite. Peut-être parce que la première image est quelqu’un qui laisse son corps à l’abandon sur un canapé. Peut-être que c’est ça qui m’a amenée à l’abandon.

 

Une jeune femme 20 ans

 


 

Cette pièce de théâtre est l’une des meilleures, voire la meilleure à laquelle j’ai assisté contrairement à mes attentes. Puisqu’en ayant lu le « tract annonce » de cette pièce je m’attendais à un long monologue ennuyeux, mais bien au contraire les 5 comédiens jouant 6 personnages m’ont bien plus que divertie.

Tout d’abord on a cette femme ELLE, à qui on donne plusieurs prénoms, plusieurs identités mais qui finalement reste ELLE. Cela permet à n’importe qui de s’identifier à elle. Cette comédienne joue une femme qui après avoir fait un cauchemar, essaye de se persuader qu’elle est toujours vivante à en devenir presque folle, paranoïaque. Le travail de l’autrice est incroyable car elle arrive à nous montrer les peurs d’une personne qui ne comprend pas comment on peut penser par la technologie, pour elle tout ce passe dans les tripes. Et on se rend encore plus compte de l’incohérence des informations qui défilent tout au long de la journée sur les réseaux sociaux. J’ai vu cela comme une alerte et en même temps un simple constat du fait que l’on n’est pas toujours acteur de ce que l’on voit sur internet, on en est même plutôt victime : toutes ces horreurs que l’on nous énumère avec ces chats pour nous divertir ; tout cela dans une incohérence total.

La deuxième partie est à l’image de ce flux constant d’informations qu’ont les jeunes générations. D’une part car elle se concentre principalement sur 3 jeunes qui essayent de profiter de la vie, de la comprendre, de la digérer. Et d’autre part encore une fois par l’écriture et le jeu des comédiens extraordinaire. C’est une écriture à l’image de la jeunesse puisqu’elle fuse de partout avec un débit de parole rapide, plein de sujet en même temps –cause parfois mêmes des quiproquos. Et parallèlement à la vie réelle on suit une discussion par messages, ou juste une suite de messages qui n’ont pas forcément de liens entre eux, ce qui m’a fait réaliser que, oui, notre cerveau (un cerveau né avec les nouvelles technologies) est en constante demande d’info : on nous demande de suivre un sujet de conversation, de penser au message reçu puis d’en écrire un autre tout en pensant à ce qu’on va dire à la personne en face de soi, puis en même temps essayer de suivre ce lot d’information qu’on nous livre auquel on est confronté et auquel on aimerait donner un sens. Et cette demande brouille notre concentration sur des choses simples qui demandent plus de temps (comme le théâtre par exemple). Notre cerveau est habitué à faire plusieurs choses  en même temps rapidement, c’est pour cela je pense que Pascale Henry à fait cette deuxième partie de sorte à ce que l’on ne puisse s’ennuyer. Mais cette partie n’est pas un enchainement de conversation « typique » ou plutôt « archétype » de l’adolescent, on met en avant les peurs de chacun  selon leur vie. La fille a peur de la fin du monde, peur de ne pas connaître l’amour, peur de la mort ; l’amie a peur d’attendre, de ne pas savoir ou dormir, veut écrire des livres qui eux n’auraient pas peur, déteste parler ou bien aime se taire ; et le garçon lui ne veut pas se taire, ni obéir, il faut s’opposer à ce qui nous convient pas. Je tiens à ajouter que les comédiens jouant les 3 jeunes ont su donner l’énergie et la puissance qui était nécessaire pour chacun des personnages.

La grand-mère est aussi un personnage important qui au départ est évoqué par ELLE, on comprend comment avant tout était beaucoup plus parlé, que l’on était poussé à penser par soi même, à inventer, à se souvenirs. Et ceci est élégamment  représenté par la fameuse réplique « il faut sortir de la nuit avec un rêve sinon tu feras caca par la tête » qui a marqué plus d’un esprit. Ensuite la grand-mère apparait comme un spectre, parle de l’au-delà à sa petite fille, et on voit qu’elle à une influence sur elle car c’est là que LA FILLE va le plus parler d’un coup, dire tout ce qu’elle a sur le cœur dans une longue tirade, ses peurs, sa vie, ses attentes… et cette apparition est vu comme la réponse puisqu’il me semble que l’on insinue que la grand-mère part pour de bon. La solution serait-elle de rêver ?

Pour finir la présence, cette femme en noir, qui nous faisait savoir la vie des personnages, ce qu’il se passait dans leur tête…etc. et qui est finalement le fil rouge de la pièce.

Cette pièce m’a tellement plu, et la frustration en moi était si grande de savoir que je ne me souviendrai pas de tout que j’ai acheté le livre de la pièce.

 

Une élève de seconde

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